Patient cancéreux avec embolie pulmonaire : une prise en charge à part entière

Analyse par Vincent Richeux, pour MEDSCAPE

Les patients cancéreux sont plus à risque d’embolie pulmonaire.
Le Dr Anne-Laure Philippon (CHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris) a évoqué différentes situations et les traitements à envisager.
En cas de cancer, le risque de pathologies veineuses thromboemboliques est quatre fois plus élevé. « L’embolie pulmonaire représente la deuxième cause de décès chez les patients atteints de cancer, plus fragiles, mais aussi confrontés à un risque accru d’hémorragie et davantage sujets aux récidives », a rappelé la praticienne.
Si elle est relativement fréquente aux urgences, la prise en charge de l’embolie pulmonaire associée au cancer reste délicate, car peu documentée. « Peu d’études s’intéressent à ces patients, souvent oubliés », ajoute le Dr Philippon. Parmi les raisons avancées: un poids trop faible, qui les exclue très facilement des cohortes.

Reconsidérer le dosage des D-dimères
Néanmoins, les dernières recommandations de 2014 de la Société européenne de cardiologie (ESC) concernant l’embolie pulmonaire abordent pour la première fois le cas des patients cancéreux [2]. Elles indiquent notamment qu’une embolie pulmonaire fortuite chez ces patients doit être prise en charge de la même façon qu’une embolie pulmonaire symptomatique.
La recherche de l’embolie pulmonaire peut s’appuyer sur le dosage des D-dimères. « Il ne faut plus considérer que les D-dimères vont être forcément positifs en présence d’un cancer. Ce dosage a une bonne valeur prédictive négative. Le diagnostic peut être écarté et un scanner inutile évité avec des D-dimères < 500 chez les moins de 50 ans ou < l’âge multiplié par dix chez les autres ».
Une fois le diagnostic posé, la première étape consiste à évaluer le risque et à le stratifier, en s’aidant notamment du score simplifié sPESI. Pour rappel, ce score s’appuie sur six critères, chacun apportant un point: âge>80 ans, présence d’un cancer, insuffisance cardiaque ou respiratoire chronique, fréquence cardiaque >110/min, pression artérielle<100 mmHg, Sa02<90%.
Pour un score sPESI nul, le risque est faible et le patient est pris en charge en ambulatoire. « Le score classe donc les patients cancéreux directement à risque intermédiaire. Faut-il pour autant tous les hospitaliser? », s’interroge le Dr Philippon. Les recommandations n’apportent pas de précision sur ce point et « l’hospitalisation est décidée au cas par cas ».

Traitement par HBPM en première intention
En l’absence d’autre score validé pour évaluer l’embolie pulmonaire chez ces malades, les recommandations après hospitalisation sont à appliquer. « En phase aiguë, on traite avec de l’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) », le traitement étant jugé plus efficace dans cette situation (moins de récidive, moins de saignement) que les antivitamines K.
Les recommandations de l’ESC précise que l’HBPM est à administrer par voie sous cutanée avec une dose ajustée au poids pendant les trois à six premiers mois. Le traitement a toutefois l’inconvénient de ne pas être bien toléré. « Le passage à un autre anticoagulant oral peut être discuté avec le patient en phase chronique, en mentionnant le risque associé. »
De nombreux essais randomisés contrôlés sont actuellement menés pour évaluer l’intérêt des anticoagulants oraux directs (AOD), qui devraient bientôt trouver leur place dans cette indication. Une récente étude a notamment montré que le risque de récidive est plus faible sous edoxaban chez ces patients, comparativement à ceux sans cancer [3].
« En cas d’embolie pulmonaire de découverte fortuite, le risque de mortalité de ces patients est le même que celui des patients symptomatiques. Finalement, les études montrent qu’entre 40 et 50% des patients concernés ont des symptômes et s’avèrent notamment beaucoup plus fatigués que les patients cancéreux sans embolie. »
En cas d’embolie pulmonaire de découverte fortuite, le risque de mortalité de ces patients est le même que celui des patients symptomatiques Dr Anne-Laure Philippon.

Une thrombolyse à risque
Chez ces patients présentant une embolie pulmonaire découverte lors d’un contrôle de routine, « il faut d’abord rechercher les symptômes, le risque de mortalité dans les 30 jours étant alors plus élevé ». Le traitement par HBPM est alors à envisager. « En l’absence de symptômes, le traitement est plus facilement envisagé en ambulatoire. »
En ce qui concerne la thrombolyse, « elle est à réserver aux patients à haut risque, c’est à dire ceux présentant des signes de choc ou d’hypotension », rappelle le Dr Philippon. Il faut néanmoins garder en tête que le traitement « majore le risque de saignement grave, notamment d’hémorragie intra-crânienne », chez les patients cancéreux.
Pour autant, « avoir un cancer n’est pas forcément une contre-indication à la thrombolyse. Il faut savoir évaluer le risque, s’adapter selon les facteurs de risque de saignement (âge >65 ans, hypertension artérielle, antécédent d’AVC, présence de métastases…). Les recommandations précisent bien qu’il faut agir au cas par cas, après concertation pluridisciplinaire ».