Prise en charge précoce du sepsis : quelles modalités envisager en Smur ?

Analyse du Dr Dominique Savary
Faut-il prendre en charge le sepsis en pré-hospitalier? Et, si oui, comment évaluer sa gravité ?
Si l’intérêt d’une médicalisation combinant antibiothérapie et remplissage vasculaire n’est pas encore démontrée, celle-ci devrait s’inscrire dans une filière à part entière, comme celle du SCA ou du polytraumatisé, a estimé le Dr Romain Jouffroy (Hôpital universitaire Necker, AP-HP, Paris).
Caractérisé par une réponse inflammatoire systémique inappropriée, le sepsis est une pathologie fréquente, dont l’incidence a presque doublé en dix ans. « Les cas sont plus nombreux en raison notamment du vieillissement de la population, qui s’accompagne d’une hausse de l’implantation des dispositifs médicaux et des traitements immunosuppresseurs ».
L’origine infectieuse du choc septique est pulmonaire dans la moitié des cas. Les principales portes d’entrée sont ensuite hépatodigestives (25% des cas) ou urinaires (5%). « La durée moyenne de séjour en réanimation des patients présentant un état septique grave est de 10 à 15 jours », précise le médecin anesthésiste. La mortalité reste élevée et atteint 30% à un mois.

De nouvelles définitions
Selon le dernier consensus international de 2016 (Sepsis-3), les définitions du sepsis et du choc septique, souvent controversées, ont été simplifiées afin de permettre une identification plus précoce des états susceptibles d’avoir une évolution défavorable. Les termes de sepsis sévère et de SIRS (syndrome de réponse inflammatoire systémique) ont été abandonnés.
Comme le précise la revue JAMA dans sa vidéo explicative, sortie à l’occasion de la publication du consensus, le sepsis est désormais défini comme une réponse inappropriée à une infection à l’origine d’une dysfonction d’organes menaçant le pronostic vital. Il est associé à un score SOFA (Sequential Organ Failure Assessment) ≥ 2. La mortalité hospitalière est alors estimée à 10% et justifie une prise en charge en urgence.
En termes clinique, le sepsis correspond à une infection liée à une modification des paramètres du score SOFA, qui évalue la fonction neurologique (échelle de Glasgow), respiratoire (PaO2/FiO2), hépatique (bilirubine), hémodynamique (PAM, dopamine, adrénaline), rénale (créatinine ou diurèse), ainsi que la coagulation (taux de plaquettes).
Le choc septique est considéré comme un sous-groupe du sepsis. Il s’agit d’un sepsis associé à la nécessité d’administrer des médicaments vasopresseurs pour maintenir une pression artérielle moyenne ≥ 65 mmHg et un niveau de lactates > 2 mmol/L (18mg/dL), malgré un remplissage adéquat. La mortalité est alors évaluée à 40%.

Le quick SOFA, un score de référence ?
Pour une détection précoce du sepsis hors réanimation, le score SOFA peut être substitué par le quick SOFA (qSOFA), validé par le comité d’experts à l’origine du consensus de 2016. Il s’appuie sur trois critères: une fréquence respiratoire ≥ 22 par minute, une pression artérielle systolique ≤100 mmHg et une altération de la conscience.
En présence de deux de ces critères, le patient présente un état septique potentiellement sévère et nécessite une prise en charge en urgence. « La fréquence respiratoire, souvent mal mesurée, est plus importante que la fréquence cardiaque », a souligné le Dr Yonathan Freund (CHU de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris), lors d’une autre présentation consacrée aux scores diagnostics, qui a fait la part belle au qSOFA [2].
« C’est le score SOFA qui définit le sepsis, mais le qSOFA est un bon marqueur de gravité », a précisé le Dr Freund. Le score simplifié n’apparait toutefois pas suffisamment sensible pour être utilisé comme outil de triage en régulation. Son intérêt est d’ailleurs contesté, une part non négligeable de patients dans un état grave ayant un score qSOFA<2. Le Dr Jouffroy a d’ailleurs appelé à développer d’autres scores utilisables en pré-hospitalier.
Selon le Dr Jouffroy, en cas de sepsis potentiellement grave, la prise en charge peut se focaliser sur deux objectifs principaux : « optimiser l’hémodynamique, en visant une pression artérielle de 60 à 65 mmHg, et mettre en place une antibiothérapie précoce. Plus on tarde à instaurer l’antibiothérapie, plus le risque de décès est élevé ».
« Ces objectifs, validés en milieu hospitalier, peuvent s’appliquer en toute logique en pré-hospitalier », estime-t-il. La médicalisation de ces patients avant l’arrivée à l’hôpital est toutefois un concept émergent et n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation. « On ne connait pas encore l’impact à long terme sur le pronostic des patients ».
C’est le score SOFA qui définit le sepsis, mais le qSOFA est un bon marqueur de gravité Dr Yonathan Freund.

Une antibiothérapie limitée
« Il reste difficile d’évaluer la gravité du sepsis en pré-hospitalier et de bien orienter le patient, en distinguant le sepsis du choc septique, qui impose alors une prise en charge en réanimation. » Par ailleurs, un traitement initié en pré-hospitalier peut suffisamment améliorer l’état du patient pour finalement lui éviter la réanimation, souligne le praticien.
Bien que la plupart des scores de diagnostic soient inadaptés dans ce contexte, « on peut s’aider du qSOFA, qui apparait comme le score le plus simple à utiliser en pré-hospitalier » (voir encadré). En cas de doute, « le dosage des lactates n’est pas forcément judicieux », d’autant plus que seul un appareil de biologie embarquée permettant ce dosage a été validé, précise le Dr Jouffroy.
En ce qui concerne le traitement par antibiotique, le praticien rappelle que seuls les céphalosporines de troisième génération sont disponibles en Smur. Or, « avec le vieillissement de la population, ces antibiotiques ne sont pas forcément les plus adaptés ». Quoi qu’il en soit, des études ont pu montrer l’intérêt de stratifier l’antibiothérapie en pré-hospitalier selon l’état du patient.

Intérêt des lactates pendant le remplissage
Une fois l’antibiothérapie initiée, l’hémodynamie peut être optimisée avec un remplissage vasculaire à l’aide d’une solution de 30ml/kg de cristalloïdes, combiné à un traitement par noradrénaline, en visant une pression artérielle de 60 à 65 mmHg. « Il reste toutefois à savoir si ce remplissage précoce est adapté à tous les patients, notamment les hypertendus ».
Le monitorage du remplissage est obligatoire « pour éviter les excès de remplissage vasculaire pas toujours facile à détecter et dont les conséquences peuvent modifier le devenir des patients ». Il existe des outils simples pour assurer ce monitorage, mais certains peuvent allonger la prise en charge.
Le plus pratique dans le contexte du pré-hospitalier est de s’appuyer sur l’évolution de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et les variations du niveau de lactates, dont la cinétique peut ici trouver son intérêt. Autre technique utile: l’épreuve du lever de jambe passif. « Si la pression artérielle monte, le remplissage peut se poursuivre ».

Y a t-il un intérêt logique à utiliser le Smur pour traiter précocement les patients atteints de sepsis, en adoptant une approche personnalisée ? Tel était le sujet traité par le Dr Romain Jouffroy.
Une étude est actuellement menée en France pour évaluer cette prise en charge précoce du sepsis en pré-hospitalier combinant antibiothérapie (2 g de rocéphine en intraveineuse) et remplissage vasculaire (35 mL par kg maximum de cristalloïdes), a annoncé le Dr Jouffroy. « Les résultats devraient être connus d’ici deux ans ».
Selon lui, la prise en charge du sepsis devrait bénéficier d’une filière à part entière, tout comme celle du syndrome coronarien aigu ou des polytraumatisés. « Il vaut voir cette prise en charge comme une chaine de secours et une chaine de soins. Il est aussi nécessaire de sensibiliser les praticiens et le grand public sur les symptômes pour donner l’alerte au plus vite ».
« Il y a un intérêt logique à utiliser le Smur pour traiter précocement les patients atteints de sepsis, en adoptant une approche personnalisée, et ce malgré les difficultés à évaluer la gravité des symptômes », a conclu le praticien.