Grands témoins
Saver Heart Center
Le Dr. Gordon A. Ewy, M.D. est Professeur Emérite du Collège de Médecine de l’Université de l’Arizona.
Après des études de médecine dans le Kansas, il s’est spécialisé en cardiologie à l’Université Georgetown.
Chef de Service de Cardiologie à Tucson de 1991 à 2010, il est auteur de 270 articles ou ouvrages référencés. Ses travaux sur le métabolisme de la digoxine, réalisés avec le Dr Frank Marcus, font autorité. Comme Directeur du Sarver Heart Center, il a dirigé une équipe de près de 200 chercheurs spécialisés dans les pathologies cardiaques.
Mais, l’arrêt cardiaque reste son combat principal. Il est, notamment, à l’origine du concept de “Continuous Chest Compression as only CPR method”. Au vu du caractère délétère des périodes de “no-flow”, il préconise, sous certaines conditions, de ne réaliser que des compressions thoraciques continues, ce qui a pu paraître comme révolutionnaire, mais est maintenant admis par (presque) tous.
Conscient du rôle des premiers intervenants, il s’est beaucoup investi dans la formation du public et des étudiants, au travers de programmes d’éducation diffusés dans tout l’Etat de l’Arizona.
L’American Heart Association lui a récemment décerné le titre de “CPR Giant”.
e-triage : Dr Ewy, quelles motivations vous ont conduit à vous investir dans la prise en charge de l’arrêt cardiaque ?
Dr Gordon Ewy : Les pathologies cardio-vasculaires représentent la principale cause de décès dans les pays industrialisés. Mais, malheureusement, le premier signe de ces pathologies est souvent le dernier, c’est la survenue d’un arrêt cardiaque. Pour tous les médecins, c’est un constat d’échec qui doit nous faire réagir.
e-triage : Pouvez-vous nous préciser quelles sont ces pathologies acquises conduisant à la mort subite?
Dr Gordon Ewy : La moyenne d’âge des individus présentant un arrêt cardiaque brutal est de 60 ans. Il s’agit principalement de sujets masculins souffrant d’une pathologie coronarienne. Mais les causes sont nombreuses et vous pouvez vous référer à un article que j’ai publié dans Circulation en 2009 (120 : 278). Les médecins doivent s’attacher à surveiller particulièrement les sujets qui ont dans leurs antécédents des membres de leur famille ayant présenté une mort subite. Ils doivent aussi être agressifs pour traiter toute hypertension artérielle, et/ou toute anomalie du cholestérol.
e-triage : Votre publication dans New England Journal of Medicine (2000;342:1599) proposant de réaliser des compressions thoraciques seules était révolutionnaire, mais très argumentée. Pourquoi, d’après vous, les médecins de l’urgence n’ont pas plus suivi vos propositions?
Dr Gordon Ewy : En ce qui concernent les Etats-Unis, la plupart des grandes villes se situent près de l’océan ou de grands lacs. Dans ce contexte, les équipes de secours prennent en charge des arrêts cardiaques consécutifs à une noyade. La cause de l’arrêt est alors respiratoire et la ventilation reste nécessaire. Par ailleurs, les premiers réanimateurs étaient anesthésistes, donc spécialistes en ventilation. Mais la majorité des arrêts cardiaques ne sont pas d’ordre asphyxique et les premiers intervenants sont rarement anesthésistes !
Force cependant est de constater que même aujourd’hui, les Recommandations continuent de préconiser, et je le déplore, le bouche-à-bouche en première intention. Nous devons insister sur le fait que lors d’un arrêt cardiaque primaire, la saturation artérielle en oxygène est suffisante. Réaliser des compressions thoraciques seules (et continues !) est alors la meilleure réponse.
e-triage : Pouvez vous nous en dire plus sur le principe d’action des compressions thoraciques continues ? Comment vous est venue cette idée ?
Dr Gordon Ewy : Soyons clairs, je ne recommande les compressions seules (CO-CPR. Compressions Only for CardioPulmonaryResuscitation) que pour les cas d’arrêt cardiaque primaire. Nous pouvons le définir comme « collapsus brutal et inattendu, devant témoin (ayant vu ou entendu la chute), d’une personne ne répondant pas et ne respirant pas normalement ». L’absence de respiration normale est un signe important, devant lui aussi, être défini. Lors d’un arrêt cardiaque primaire, de nombreux sujets présentent des « gasp ». Ces pseudo signes de ventilation peuvent être notés dans les 5 premières minutes suivant l’arrêt. Excepté chez le nouveau-né, ils sont des signes d’arrêt cardiaque.
e-triage : Comment définissez vous la « New CPR »?
Dr Gordon Ewy : La « New CPR » est une Réanimation Cardio-Cérébrale destinée aux patients victimes d’un arrêt cardiaque primaire. Nous l’avons instituée à Tucson, dés 2003 et généralisée à tout l’Arizona en 2004. Maintenir un « flow » préserve le cerveau.
e-triage : Pourquoi l’Université de l’Arizona est-elle devenue un modèle concernant la prise en charge “pratique”, et “réaliste” des arrêts cardiaques préhospitaliers?
Dr Gordon Ewy : Disons simplement que nous avons constitué un groupe de recherche composé de cardiologues, de pédiatres, d’anesthésistes, d’internistes et d’urgentistes, tous motivés et sachant partager leurs idées sur un sujet permettant de sauver des vies de façon simple. Ce centre de recherche fonctionne depuis plusieurs décennies.
e-triage : Permettez-nous de revenir sur votre publication princeps: “Cardiocerebral Resuscitation. Circulation. 2005 (111:2134-2142)”. Pourquoi n’a t-elle pas pu changer les habitudes de prise en charge d’un arrêt cardiaque?
Dr Gordon Ewy : Une réponse partielle repose sur la méthode choisie pour élaborer les Recommandations. J’ai évoqué ce problème dans un article “A Clarian Call for Change” Ewy, GA. A clarion call for change. Current Opinion in Critical Care 2009;15:181-184. Les recommandations n’avancent que ce qui est sûr, ce qui est bien, mais a pour effet paradoxal de couper court à certaines initiatives.
e-triage : Finalement, n’est-il pas plus facile de convaincre le grand public et les premiers répondants que les médecins qui privilégient souvent les solutions complexes ?
Dr Gordon Ewy : Nous n’avons, effectivement, eu aucun problème pour faire adopter la « continuous chest compressions » par les premiers intervenants. Ils savent combien il est difficile d’améliorer les scores de réussite et ils sont preneurs de toute idée nouvelle.
Une de mes histoires favorites est rapportée par le Dr Karl B. Kern. Il n’est pas fréquent que des enseignants de lycée invitent des parents d’élève à s’exprimer lors de leurs réunions. Ce fut le cas pour mon confrère. A la fin de sa présentation, des enseignantes vinrent l’interroger sur la « New CPR » mise en place à Tucson. Toutes trois étaient mariées à des secouristes professionnels. Ces derniers ne leur avaient jamais parlé de leur métier jusqu’à tout récemment car grâce à cette nouvelle méthode, ils avaient pu, chacun, réanimer avec succès un arrêt cardiaque. Depuis, ils étaient encore plus fiers de leur métier….et de meilleurs maris !
e-triage : Pour justifier la « continuous chest compressions » vous évoquez souvent la haute montagne. Pouvez-vous clarifier ?
Dr Gordon Ewy : Nous avons mesuré les gaz du sang artériels de cochons durant nos expériences sur la CCC, comme seul mode de RCP. Nous avons constaté que la saturation en oxygène de ces gaz du sang restait normale dans les 10 minutes qui suivent une fibrillation ventriculaire. Ce sang, n’ayant pas circulé de part l’arrêt, est resté artériel et bien saturé. Il en va de même si vous prélevez un échantillon et l’envoyez au laboratoire. La saturation reste inchangée jusqu’à l’analyse. Cependant, dès que vous commencez les compressions, le sang circule et la saturation diminue aux environ de 35%. Une personne peut-elle survivre avec une saturation de 35 ? La réponse est oui. C’est la valeur de saturation des alpinistes qui gravissent l’Everest. Je publie prochainement dans « Circulation » un article à ce sujet.
e-triage : Vous avez tourné un film dédié à la RCP, qui a beaucoup de succès, paraît-il.
Dr Gordon Ewy : Effectivement. Il est disponible sur www.heart.arizona.edu. Il suffit de cliquer sur CPR.
e-triage : Que pensez-vous du concept de « passive oxygenation »?
Dr Gordon Ewy : C’est l’approche que nous recommandons. Nous utilisons cette méthode sur tous nos cochons (intubation trachéale avec « passive oxygénation »). Nous avons publié à ce sujet (Bobrow BJ, Clark LL, Ewy GA, Chikani V. Sanders AB, Berg RA, Richman PB, Kern KB. Minimally interrupted cardiac resuscitation by emergency medical Services for out-of-hospital cardiac arrest. JAMA 2008; 299:1158-1165). L’oxygénation passive a plusieurs avantages. En particulier, elle évite les délais nécessités par la mise en place de dispositifs spécialisés (supraglottiques, intubation). Ceci est bien documenté (Wang et al. Annals of Emergency Medicine 2009 ;54 :645). La durée médiane pour placer un tube trachéal est de 47 secondes, mais 1/3 des pratiquants le font en plus d’une minute.
e-triage : Quelle est la prochaine étape dans le domaine de la RCP ?
Dr Gordon Ewy : La survie des patients victimes d’un arrêt cardiaque extra hospitalier ne sera améliorée que si chaque système se confronte à la réalité. Les Recommandations Internationales sont écrites par des équipes très performantes basées à Seattle ou Amsterdam. Leurs résultats sont excellents, mais peut-être pas transposables à toutes les équipes de par le monde.
Chacun doit se poser la question de ses propres résultats et de la façon de les améliorer (Ewy GA, Sanders AB. Alternative Approach to Improving Survival of Patients with Out-of-Hospital Primary Cardiac Arrest. JACC 2012:61:113-118). Ce n’est pas seulement le taux de survie des arrêts devant témoin et en rythme chocable, qu’il faut évaluer, mais bien l’ensemble de nos pratiques !
e-triage : Et vous, Dr Ewy, votre prochain challenge ?
Dr Gordon Ewy : Continuer à défendre le concept de « Continuous Chest Compressions » au travers de mes articles et conférences.
e-triage : Merci, nous suivrons vos démarches avec le plus grand intérêt.