Edito

Quand l’horreur occupe notre quotidien, comment ne pas penser au sous-titre du livre qu’Hanna Arendt a consacré au procès Eichmann (1) ? Ce que l’on croyait appartenir au siècle passé, nous rejoint et nous glace soudain.
L’incompréhension nous saisit devant la monstruosité des crimes et la façon dont ils sont commis. Là-bas, des êtres humains brûlés vifs, décapités, déchiquetés, précipités du haut d’immeuble, ici, d’autres humains, anonymes, insouciants, abattus froidement, calmement. Le pourquoi est sans réponse évidente. Quel Dieu, quel Moloch ressurgi des ténèbres du temps, voudrait bien conduire des enfants perdus à de tels actes sacrificiels ?
Chacun porte en soi la forme entière de l’humaine condition, écrivait Montaigne. Le concept prévaut toujours et c’est ce qui nous rend insupportable, cette fracture voulue entre « eux » et « nous ». Le pouvoir des forces maléfiques reste un mystère et nous touche au plus profond (2). Par une sorte de déshumanisation, les bourreaux se sentent totalement étrangers à leurs victimes. Cette déshumanisation est, ici, poussée à l’extrême puisqu’eux-mêmes relativisent leur existence terrestre en aspirant à une mort inéluctable.

Cette forme de totalitarisme idéologique et cette dynamique de destruction de la réalité n’est pas nouvelle mais nous laisse désarmés dans la réponse à trouver.
Soulignons, pour ce qui est des attentats de Paris, l’exemplarité de la Chaîne des secours. Des décideurs administratifs, aux acteurs soignants ; des premiers soins donnés, au traitement hospitalier, tous ont répondu avec un professionnalisme remarquable, qui a été souligné par les acteurs médicaux du monde entier. Cette réponse efficace et ordonnée malgré le désordre obligé, est une réponse magnifique à ceux qui veulent nous détruire, comme est magnifique la citoyenneté révélée, nous faisant nous retrouver autour de trois couleurs dont le rayonnement reste à nul autre pareil.
Redisons, avec Apollinaire, à ces fous d’un improbable Dieu que « Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores ».

(1) Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963, rééd. Gallimard, coll « Folio essais », 1991.
(2) Philip Zimbardo, The Lucifer Effect: Understanding how good people turn evil, Random House, 2007.

Jean-Claude Deslandes
Rédacteur en Chef